GENERALITES SUR LA CLASSIFICATION DES INFRACTIONS EN DROIT PENAL IVOIRIEN
Science juridique, le droit
pénal développe une approche fondée sur l’observation du phénomène criminel
auquel il entend apporter des réponses à travers l’édiction de normes et de
sanctions, en passant des unes aux autres par un processus judiciaire[1].
Le droit pénal se présente donc comme l’ensemble des règles juridiques qui prévoient
les incriminations (infractions) d’une
part et les récriminations (sanctions) d’autre part. Autrement dit c’est une
discipline qui pose des interdits reconnus dans une société donnée et veille à
leur respect par l’édiction de sanctions de nature diverses.
En
Côte d’Ivoire, c’est la loi n°81-640 du
31 juillet 1981 instituant le Code Pénal qui prévoit l’essentiel des règles
applicables à la matière[2].
Cette loi, en son article 2 définit
l’infraction comme « tout fait,
action ou omission, qui trouble ou est susceptible de troubler l'ordre ou la
paix publique en portant atteinte aux droits légitimes soit des particuliers,
soit des collectivités publiques ou privées et qui comme tel est légalement
sanctionné ». Cette disposition du code pénal qui définit
l’infraction, en prévoit ses trois (3) éléments constitutifs à savoir l’élément légal (la norme juridique
incriminant le fait), l’élément matériel
(le fait matériel constitutif de l’infraction, action ou abstention) et l’élément moral ou psychologique (la
volonté de l’individu de transgresser la loi). L’article 2 même s’il recèle les
éléments caractéristiques et communs à toute infraction, n’épuise malheureusement
pas cette notion. En effet, il existe
une diversité d’infractions, classées par le droit pénal ivoirien à l’instar du droit pénal Français, en trois catégories,
devenues presque traditionnelles. Cette classification tripartite séculaire se résume
en la distinction entre crimes, délits et contraventions. Cette classification
se justifie sans doute par la différence de gravité entre les faits
constitutifs de ces différentes infractions, la différence du trouble social
provoqué mais surtout par la dangerosité des individus déclarés coupables de
telle ou telle infraction.
Cette
classification tripartite des infractions est expressément prévue par l’article
3 de notre code pénal. Aux termes de cette disposition « L'infraction est qualifiée :
1o
Crime : Si elle est passible, d'une peine
privative de liberté perpétuelle ou supérieure à 10 ans[3]
;
2o
Contravention : Si elle est passible d'une peine
privative de liberté inférieure ou égale à 2 mois et d'une peine d'amende
inférieure ou égale à 360.000 francs ou de l'une de ces deux peines seulement ;
3o
Délit : Si elle est passible d'une peine
privative de liberté ou d'amende autre que les précédentes. »
Il
ressort de cette disposition que la nature ou la catégorie de l’infraction, en
dehors du critère tiré de sa gravité, dépend
essentiellement de la sanction ou de la peine y afférente. Ainsi, le
crime, infraction la plus grave est puni d’une peine privative de liberté perpétuelle
ou supérieure à 10 ans. Aussi y a-t-il contravention toutes les fois où la
peine privative de liberté est inférieure ou égale à 2 mois et l’amende
inférieure ou égale à 360.000 francs. Enfin l’infraction sera considérée comme
un délit toutes les fois où la sanction prononcée est différente de celles prévues
pour le crime ou la contravention.
Toutefois,
cette classification tripartite prévue à l’article 3 du code pénal,
principalement fondée sur les peines applicables à l’infraction n’est pas
absolue. Elle connait des dérogations. Une infraction relevant d’une catégorie
peut parfois être assortie d’une sanction pénale afférente à une autre catégorie.
Ainsi, un délit peut être sanctionné par une peine qui en principe est de
nature contraventionnelle et un crime puni d’une peine correctionnelle
c'est-à-dire prévue pour un délit. En guise d’illustration, nous pouvons citer
les dispositions des articles 394[4] et
395[5] du
Code Pénal qui répriment les vols aggravés, c’est à dire ceux commis avec
certaines circonstances aggravantes, de peines privatives de liberté allant de
20 ans à la perpétuité. En dépit de ces sanctions qui relèvent de celles prévues
pour les crimes, ces vols aggravés demeurent des délits. C’est également le cas
du viol prévu par l’article 354 du code pénal qui même s’il peut être puni
d’une peine de 5 ans d’emprisonnement, n’en demeure pas moins un crime.
Cependant
l’article 4 du code pénal en vue d’éviter toute ambiguïté quant à la classification
des infractions dispose que « La nature de l'infraction
relevant d'une des catégories prévues à l'article 3 précédent, n'est pas
modifiée lorsque par le jeu des règles relatives à la récidive, aux excuses ou
aux circonstances atténuantes, la peine encourue est de celles afférentes à une
autre catégorie. »
En
ce qui concerne les contraventions, notons qu’elles sont pour la plupart prévues
par le
décret n°69-356 du 31 juillet 1969 déterminant les contraventions de simple
police et les peines qui leur sont applicables. Ce décret prévoit trois
(3) classes de contraventions. Les contraventions de première classe qui concernent notamment des faits comme la négligence
ou le refus d’exécuter les règlements ou arrêtés concernant la petite voirie,
le refus de nettoyer les rues ou passages lorsque ce soin est laissé à la
charge des habitants, sont punies d’une amende de 1.000 à 10.000 francs. Les
contraventions de deuxième classe qui concernent entre autres le non-respect
des décrets et arrêtés légalement faits par l’autorité administrative ou
municipale, sont punies d’une amende de 5.000 à 50.000 et d’un emprisonnement
pouvant aller jusqu’à plus de 10 jours. Les contraventions de troisième classe
sont plus sévèrement punies car elles sont passibles d’une amende de 10.000 à
360.000 francs et d’un emprisonnement inferieur ou égal à 2 mois.
Cette
classification tripartite des infractions en crimes, délits et contraventions
n’est pas sans intérêt. En effet celle-ci débouche sur un principe essentiel en
matière pénale : celle de la compétence
des juridictions de jugement à connaitre
d’une Infraction. La compétence étant l’aptitude d’une juridiction déterminée à
connaitre d’une catégorie d’infractions, le
crime, le délit et la contravention ne relèvent pas de la compétence de la même juridiction.
C’est
ainsi qu’aux termes de l’article 231 du code de procédure pénale « La Cour d'Assises a plénitude de
juridiction pour juger les individus renvoyés devant elle par l'arrêt de mise
en accusation. ». Autrement dit, l’arrêt de mise en accusation étant
la décision prise par la Chambre d’Accusation pour renvoyer devant la Cour
d’Assises un individu convaincu de crime, la Cour d’Assises est compétente pour
connaitre des infractions les plus graves à savoir les crimes.
Quant
aux délits, ils sont déférés devant le Tribunal Correctionnel. Cela ressort de
l’article 370 du code de procédure pénale qui dispose que « Le Tribunal Correctionnel connaît des délits. »
Enfin
aux termes de l’article 514 du même code « Le Tribunal
de simple police
connaît des contraventions. Sont
des contraventions, les infractions que
la loi punit
d'une peine de
un jour au moins
à deux mois
au plus d'emprisonnement, ou de
200 francs au moins à 72.000 francs au plus d'amende, qu'il y ait ou non
confiscation des choses saisies quelle qu'en soit la valeur. »
Toutefois
ces règles de compétences connaissent des dérogations. Ainsi la Cour d’Assises
en raison de sa plénitude de juridiction[6] peut
connaitre des délits et contraventions connexes (c’est-à-dire des délits et des
contraventions intimement liés au crime) au crime. Le Tribunal Correctionnel
pouvant également connaitre des crimes renvoyés[7]
devant lui par la Chambre d’Accusation[8].
Par ESSEHI EBA FRANCOIS,
Auditeur de Justice à l’Ecole de la Magistrature
[1]- DEBOVE Frédéric et FALLETI François,
Précis de droit pénal et de procédure pénale, Presses Universitaires de France,
Paris 2001
[2]- certaines lois spéciales
n’ayant pas fait l’objet d’insertion dans le Code Pénal prévoient également
certaines infractions assorties de sanctions. Ex : Loi n°2013-451 du 19 juin
2013 relative à la lutte contre la cybercriminalité.
[3]- Avant la loi n°2015-134 du 9
mars 2015 portant modification de certaines dispositions du code pénal, le
crime était passible « soit de la
peine de mort, soit d'une peine privative de liberté perpétuelle ou supérieure
à 10 ans ; »
[4]- Article 394 « La peine est un
emprisonnement de dix à vingt ans et d'une amende de 500.000 à 5.000.000 de
francs si le vol ou la tentative de vol a été accompagné d'une au moins des
circonstances ci-après :
1o Le vol ou la tentative de vol est commis
avec violences n'ayant pas entraîné des blessures ;
2o Il y a effraction extérieure, escalade,
usage de fausses clefs ;
3o Le vol ou la tentative de vol est commis
en réunion par au moins deux personnes ;
4o Il est fait usage frauduleux, soit de
l'uniforme ou du costume d'un fonctionnaire public, civil ou militaire, soit du
titre d'un tel fonctionnaire, soit d'un faux ordre de l'Autorité civile ou
militaire ;
5o Le vol ou la tentative de vol a lieu
dans une maison habitée ou servant à l'habitation ;
6o Le vol ou la tentative de vol est commis
à l'aide d'un bris de scellés ;
7o L'auteur dissimule son visage sous un
masque, quelle qu'en soit la nature.
8o La peine est l'emprisonnement de vingt
ans si le vol ou la tentative de vol est commis la nuit. »
[5]- Article 395 « Le vol ou la tentative de
vol est puni de la peine de mort s'il a été commis :
1o La nuit avec la réunion de deux des
circonstances prévues à l'article précédent ;
2o Lorsque l'auteur est porteur d'une arme
apparente ou cachée ;
3o Avec des violences ayant entraîné la
mort ou des blessures, ou lorsque l'auteur a utilisé un véhicule pour faciliter
son entreprise, sa fuite, ou est porteur d'un narcotique. »
[6]-
article 231 code de procédure pénale « La Cour d'Assises a
plénitude de juridiction pour juger les individus renvoyés devant elle par
l'arrêt de mise en accusation. Elle ne peut connaître d'aucune autre
accusation. »
[7]- Article 214 du code de
procédure pénale « Si les faits retenus à la charge des inculpés
constituent une infraction qualifiée crime par la loi, la Chambre d'Accusation
prononce la mise en accusation devant la Cour d'Assises. Elle peut saisir
également cette juridiction des infractions connexes.
Si la Chambre
d'Accusation estime qu'il
y a lieu
de ne prononcer qu'une
peine correctionnelle, en raison des circonstances, elle peut, par arrêt
motivé, et sur réquisitions conformes
du Ministère public,
renvoyer le prévenu
devant le Tribunal
Correctionnel, lequel ne pourra décliner sa compétence.
[8]-
article 370 Code de procédure pénale « Le Tribunal
Correctionnel connaît des délits.
Le Tribunal Correctionnel connaît également des
crimes dont il est saisi par la Chambre d'Accusation conformément aux
dispositions de l'article 214, alinéa 3. »