mardi 23 mai 2017



GENERALITES SUR LA CLASSIFICATION DES INFRACTIONS EN DROIT PENAL IVOIRIEN


Science juridique, le droit pénal développe une approche fondée sur l’observation du phénomène criminel auquel il entend apporter des réponses à travers l’édiction de normes et de sanctions, en passant des unes aux autres par un processus judiciaire[1]. Le droit pénal se présente donc comme l’ensemble des règles juridiques qui prévoient les  incriminations (infractions) d’une part et les récriminations (sanctions) d’autre part. Autrement dit c’est une discipline qui pose des interdits reconnus dans une société donnée et veille à leur respect par l’édiction de sanctions de nature diverses.
En Côte d’Ivoire, c’est la loi n°81-640 du 31 juillet 1981 instituant le Code Pénal qui prévoit l’essentiel des règles applicables à la matière[2]. Cette loi, en son article 2  définit l’infraction comme « tout fait, action ou omission, qui trouble ou est susceptible de troubler l'ordre ou la paix publique en portant atteinte aux droits légitimes soit des particuliers, soit des collectivités publiques ou privées et qui comme tel est légalement sanctionné ». Cette disposition du code pénal qui définit l’infraction, en prévoit ses trois (3) éléments constitutifs à savoir l’élément légal (la norme juridique incriminant le fait), l’élément matériel (le fait matériel constitutif de l’infraction, action ou abstention) et l’élément moral ou psychologique (la volonté de l’individu de transgresser la loi). L’article 2 même s’il recèle les éléments caractéristiques et communs à toute infraction, n’épuise malheureusement  pas cette notion. En effet, il existe une diversité d’infractions, classées par le droit  pénal ivoirien à  l’instar du droit pénal Français, en trois catégories, devenues presque traditionnelles. Cette classification tripartite séculaire se résume en la distinction entre crimes, délits et contraventions. Cette classification se justifie sans doute par la différence de gravité entre les faits constitutifs de ces différentes infractions, la différence du trouble social provoqué mais surtout par la dangerosité des individus déclarés coupables de telle ou telle infraction.
Cette classification tripartite des infractions est expressément prévue par l’article 3 de notre code pénal. Aux termes de cette disposition « L'infraction est qualifiée :
1o Crime : Si elle est passible, d'une peine privative de liberté perpétuelle ou supérieure à 10 ans[3] ;
2o Contravention : Si elle est passible d'une peine privative de liberté inférieure ou égale à 2 mois et d'une peine d'amende inférieure ou égale à 360.000 francs ou de l'une de ces deux peines seulement ;
3o Délit : Si elle est passible d'une peine privative de liberté ou d'amende autre que les précédentes. »
Il ressort de cette disposition que la nature ou la catégorie de l’infraction, en dehors du critère tiré de sa gravité, dépend  essentiellement de la sanction ou de la peine y afférente. Ainsi, le crime, infraction la plus grave est puni d’une peine privative de liberté perpétuelle ou supérieure à 10 ans. Aussi y a-t-il contravention toutes les fois où la peine privative de liberté est inférieure ou égale à 2 mois et l’amende inférieure ou égale à 360.000 francs. Enfin l’infraction sera considérée comme un délit toutes les fois où la sanction prononcée est différente de celles prévues pour le crime ou la contravention.
Toutefois, cette classification tripartite prévue à l’article 3 du code pénal, principalement fondée sur les peines applicables à l’infraction n’est pas absolue. Elle connait des dérogations. Une infraction relevant d’une catégorie peut parfois être assortie d’une sanction pénale afférente à une autre catégorie. Ainsi, un délit peut être sanctionné par une peine qui en principe est de nature contraventionnelle et un crime puni d’une peine correctionnelle c'est-à-dire prévue pour un délit. En guise d’illustration, nous pouvons citer les dispositions des articles 394[4] et 395[5] du Code Pénal qui répriment les vols aggravés, c’est à dire ceux commis avec certaines circonstances aggravantes, de peines privatives de liberté allant de 20 ans à la perpétuité. En dépit de ces sanctions qui relèvent de celles prévues pour les crimes, ces vols aggravés demeurent des délits. C’est également le cas du viol prévu par l’article 354 du code pénal qui même s’il peut être puni d’une peine de 5 ans d’emprisonnement, n’en demeure pas moins un crime.
Cependant l’article 4 du code pénal en vue d’éviter toute ambiguïté quant à la classification des infractions dispose que « La nature de l'infraction relevant d'une des catégories prévues à l'article 3 précédent, n'est pas modifiée lorsque par le jeu des règles relatives à la récidive, aux excuses ou aux circonstances atténuantes, la peine encourue est de celles afférentes à une autre catégorie. »
En ce qui concerne les contraventions, notons qu’elles sont pour la plupart prévues par le décret n°69-356 du 31 juillet 1969 déterminant les contraventions de simple police et les peines qui leur sont applicables. Ce décret prévoit trois (3) classes de contraventions. Les contraventions de première classe  qui concernent notamment des faits comme la négligence ou le refus d’exécuter les règlements ou arrêtés concernant la petite voirie, le refus de nettoyer les rues ou passages lorsque ce soin est laissé à la charge des habitants, sont punies d’une amende de 1.000 à 10.000 francs. Les contraventions de deuxième classe qui concernent entre autres le non-respect des décrets et arrêtés légalement faits par l’autorité administrative ou municipale, sont punies d’une amende de 5.000 à 50.000 et d’un emprisonnement pouvant aller jusqu’à plus de 10 jours. Les contraventions de troisième classe sont plus sévèrement punies car elles sont passibles d’une amende de 10.000 à 360.000 francs et d’un emprisonnement inferieur ou égal à 2 mois.

Cette classification tripartite des infractions en crimes, délits et contraventions n’est pas sans intérêt. En effet celle-ci débouche sur un principe essentiel en matière pénale : celle de la  compétence des juridictions de jugement  à connaitre d’une Infraction. La compétence étant l’aptitude d’une juridiction déterminée à connaitre d’une catégorie d’infractions, le  crime, le délit et la  contravention ne relèvent pas  de la compétence de la même juridiction.
C’est ainsi qu’aux termes de l’article 231 du code de procédure pénale « La Cour d'Assises a plénitude de juridiction pour juger les individus renvoyés devant elle par l'arrêt de mise en accusation. ». Autrement dit, l’arrêt de mise en accusation étant la décision prise par la Chambre d’Accusation pour renvoyer devant la Cour d’Assises un individu convaincu de crime, la Cour d’Assises est compétente pour connaitre des infractions les plus graves à savoir les crimes.
Quant aux délits, ils sont déférés devant le Tribunal Correctionnel. Cela ressort de l’article 370 du code de procédure pénale qui dispose que « Le Tribunal Correctionnel connaît des délits. »
Enfin aux termes de l’article 514 du même code « Le  Tribunal  de  simple  police  connaît  des  contraventions.  Sont  des  contraventions,  les infractions  que  la  loi  punit  d'une  peine  de  un  jour au  moins  à  deux  mois  au  plus d'emprisonnement, ou de 200 francs au moins à 72.000 francs au plus d'amende, qu'il y ait ou non confiscation des choses saisies quelle qu'en soit la valeur. »
Toutefois ces règles de compétences connaissent des dérogations. Ainsi la Cour d’Assises en raison de sa plénitude de juridiction[6] peut connaitre des délits et contraventions connexes (c’est-à-dire des délits et des contraventions intimement liés au crime) au crime. Le Tribunal Correctionnel pouvant également connaitre des crimes renvoyés[7] devant lui par la Chambre d’Accusation[8]


Par ESSEHI EBA FRANCOIS, Auditeur de Justice à l’Ecole de la Magistrature




[1]- DEBOVE Frédéric et FALLETI François, Précis de droit pénal et de procédure pénale, Presses Universitaires de France, Paris 2001
[2]- certaines lois spéciales n’ayant pas fait l’objet d’insertion dans le Code Pénal prévoient également certaines infractions assorties de sanctions. Ex : Loi n°2013-451 du 19 juin 2013 relative à la lutte contre la cybercriminalité.
[3]- Avant la loi n°2015-134 du 9 mars 2015 portant modification de certaines dispositions du code pénal, le crime était passible « soit de la peine de mort, soit d'une peine privative de liberté perpétuelle ou supérieure à 10 ans ; »
[4]- Article 394 « La peine est un emprisonnement de dix à vingt ans et d'une amende de 500.000 à 5.000.000 de francs si le vol ou la tentative de vol a été accompagné d'une au moins des circonstances ci-après :
1o Le vol ou la tentative de vol est commis avec violences n'ayant pas entraîné des blessures ;
2o Il y a effraction extérieure, escalade, usage de fausses clefs ;
3o Le vol ou la tentative de vol est commis en réunion par au moins deux personnes ;
4o Il est fait usage frauduleux, soit de l'uniforme ou du costume d'un fonctionnaire public, civil ou militaire, soit du titre d'un tel fonctionnaire, soit d'un faux ordre de l'Autorité civile ou militaire ;
5o Le vol ou la tentative de vol a lieu dans une maison habitée ou servant à l'habitation ;
6o Le vol ou la tentative de vol est commis à l'aide d'un bris de scellés ;
7o L'auteur dissimule son visage sous un masque, quelle qu'en soit la nature.
8o La peine est l'emprisonnement de vingt ans si le vol ou la tentative de vol est commis la nuit. »

[5]- Article 395 « Le vol ou la tentative de vol est puni de la peine de mort s'il a été commis :
1o La nuit avec la réunion de deux des circonstances prévues à l'article précédent ;
2o Lorsque l'auteur est porteur d'une arme apparente ou cachée ;
3o Avec des violences ayant entraîné la mort ou des blessures, ou lorsque l'auteur a utilisé un véhicule pour faciliter son entreprise, sa fuite, ou est porteur d'un narcotique. »

[6]-  article 231 code de procédure pénale « La Cour d'Assises a plénitude de juridiction pour juger les individus renvoyés devant elle par l'arrêt de mise en accusation. Elle ne peut connaître d'aucune autre accusation. »
[7]- Article 214 du code de procédure pénale «  Si les faits retenus à la charge des inculpés constituent une infraction qualifiée crime par la loi, la Chambre d'Accusation prononce la mise en accusation devant la Cour d'Assises. Elle peut saisir également cette juridiction des infractions connexes.
Si  la  Chambre  d'Accusation  estime  qu'il  y  a  lieu  de ne  prononcer  qu'une  peine correctionnelle, en raison des circonstances, elle peut, par arrêt motivé, et sur réquisitions conformes  du  Ministère  public,  renvoyer  le  prévenu  devant  le  Tribunal  Correctionnel, lequel ne pourra décliner sa compétence.
[8]-  article 370 Code de procédure pénale « Le Tribunal Correctionnel connaît des délits.
Le Tribunal Correctionnel connaît également des crimes dont il est saisi par la Chambre d'Accusation conformément aux dispositions de l'article 214, alinéa 3. »