ARTICLE DE DOCTRINE
SUJET :
La
vocation successorale du conjoint survivant à l’aune de la loi n°2019-573 du 26
juin 2019 relative aux successions.
Par ESSEHI Eba François[1]
Enfin,
enfin, enfin, scandait l’autre. Après
cinquante-cinq (55) années d’application parfois mitigée, la loi n°64-379 du 7 octobre 1964, relative aux successions a tiré sa révérence dans une atmosphère
d’indifférence totale qui contraste avec la ferveur et la liesse populaire qui
ont suivi son adoption, sa promulgation et son entrée en vigueur, dans une Côte
d’Ivoire qui se voulait à l’époque moderne, mais avec les pieds toujours ancrés
dans la tradition.
Au
lendemain de son indépendance, la Côte d’Ivoire était confrontée à un choix
cornélien s’agissant du choix des règles devant régir les rapports entre les particuliers. Fallait-il appliquer les coutumes aussi
diverses qu’elles étaient à l’époque[2],
incorporer celles-ci dans les lois à adopter ou transposer les lois de la puissance
colonisatrice dans le droit interne ? face à cette préoccupation, la
position de Phillipe YACE, Président de l’Assemblée Législative puis de
l’Assemblée Nationale de Côte d’Ivoire était clairement affichée. Ce dernier déclarait,
en 1964, lors de la présentation de l’ensemble des 10 lois relatives au droit
de la famille que « les règles qui
commandent les rapports des particuliers entre eux, c'est-à-dire le droit
privé, ont pris dans notre pays un retard considérable par rapport aux
structures politiques et économiques mises en place. Si ce retard s’accentuait,
il serait un frein au développement économique. » Ainsi, pour ce
dernier, la suppression du droit coutumier et l’adoption du droit de l’ancien
colonisateur étaient les seuls moyens de parvenir au développement économique
et
social. C’est dès lors cet objectif qui
guidera le législateur dans l’élaboration de l’ensemble de lois civiles
ivoiriennes notamment celle relative aux successions, et ce dès l’année 1964.
Durant
la colonisation, la succession pouvait se définir comme « la transmission à une personne vivante de l’ensemble des charges
et des droits exercés par le défunt, ainsi que des biens qu’il détenait »[3]
Cette forme de succession précoloniale
avait un double objet : elle visait principalement la transmission des
fonctions exercées par le défunt et accessoirement le transfert de ses biens. A
cette époque, la succession était gouvernée par deux (2) principes à savoir la
succession aux fonctions[4]
et la désignation d’un héritier unique[5].
Chez les peuples Bété, par exemple, chaque segment du lignage avait un chef, le
plus ancien qui détenait l’autorité. A sa
mort, celle-ci passait à son frère puîné qui prenait en charge tous les membres
de la famille. Ce n’est que lorsqu’il n’y avait plus de frère que la succession
passait au fils aîné du frère aîné. Cette forme traditionnelle de succession conduisait
inévitablement à l’exclusion des descendants du de cujus et niait toute vocation héréditaire au conjoint survivant.
Loi
n°64-379 du 07 octobre 1964 va opérer
une refonte du régime successoral en redéfinissant la notion même de succession.
Ainsi, la succession s’entend désormais de la transmission de l’ensemble des
biens et droits actifs et passifs d’une personne décédée, appelée
défunt ou de cujus, au profit d’autres personnes survivantes, appelées héritiers
ou successibles. Ce qui marque le
passage de la succession aux fonctions à la succession aux biens. Cette loi
établit également les nouveaux principes directeurs du droit des successions,
notamment l’égalité des filiations, l’indifférence du sexe ou de la
primogéniture s’agissant des enfants et descendants du défunt, la prohibition
des pactes sur successions futures, le principe de l’unité de la succession, le
double principe de l’ordre et de degré et la règle de la réserve héréditaire.
Cette
forme moderne de succession aura un impact certain sur la situation du conjoint survivant. En effet, dans les
sociétés traditionnelles ivoiriennes, le conjoint du défunt n’avait aucune
vocation successorale et ne pouvait de ce fait prétendre à une part de
l’hérédité de son défunt époux. Le conjoint était considéré comme étranger et
on ne voulait pas qu’à travers lui les biens du défunt passent à sa propre
parenté. Le mariage ne faisait pas naître une nouvelle famille. Chaque conjoint
restait attaché à sa famille et n'avait de vocation successorale que dans
celle-ci[6].
Avec la nouvelle loi, le conjoint survivant, parent par alliance, est érigé au
rang d’héritier au même titre que les parents de sang du défunt. Mieux, le
conjoint survivant est hissé au rang d’héritier réservataire doté d’une pars héréditatis en pleine propriété, de
sorte qu’il ne peut être exhérédé[7].
En faisant du conjoint survivant un héritier réservataire, le Législateur de
1964 traduisait clairement sa volonté de faire la promotion de cet héritier
tant ignoré par le régime successoral traditionnel.
Cependant,
après plusieurs années d’application, la loi
n°64-379 du 07 octobre 1964 a révélé ses insuffisances criardes s’agissant
surtout de la vocation héréditaire du conjoint survivant. En effet, présenté
comme héritier réservataire doté d’une pars
héréditatis en pleine propriété au même titre que les parents de sang du de cujus, le conjoint se verra en pratique
exclu de la succession. En présence d’enfants et descendants, le conjoint
survivant était automatiquement exclu de la succession de son défunt époux. Il
en était de même en présence des père et mère et frères et sœurs du défunt. En
l’absence d’ascendants et collatéraux privilégiés, le conjoint survivant était
concurrencé par les parents les plus éloignés de son époux, et ce jusqu’au
douzième degré, rendant presqu’à néant sa vocation successorale. C’est en
l’absence de tous les parents du défunt ou du moins en l’absence de certains
d’entre eux que le conjoint survivant pouvait prétendre à une part de
l’hérédité. Ce qui relève presque de la fiction, surtout en Afrique où la
famille, en dépit des lois nouvelles instituant la famille nucléaire, conserve
sa connotation la plus large.
Aujourd’hui
plus que jamais, le rôle des époux s’est accru dans la constitution et la
gestion du patrimoine de la famille. Le patrimoine des familles est,
contrairement au passé, composé de biens acquis par les deux époux au cours de
leur vie commune plutôt que de biens lignagers comme c’était le cas des
décennies plus tôt. Ainsi, la vocation successorale très étendue des parents de
sang du défunt telle que résultant de la loi de 1964 ne se justifiait plus
depuis quelques années. Dès lors, il fallait nécessairement adapter la
situation héréditaire du conjoint survivant à la nouvelle donne sociale en
prenant notamment en compte les mutations sociales, culturelles, économiques et
juridiques qu’a connues la Côte d’Ivoire ces cinquante dernières années.
Fort
heureusement, le Législateur ivoirien n’est pas resté indifférent à cette situation
de précarité à laquelle le conjoint survivant est confronté depuis plus d’un demi-siècle,
de sorte qu’il a jugé légitime, dans la loi
n° 2019-573 du 26 juin 2019 relative aux successions, de réaffirmer la vocation
héréditaire de cet héritier (I), non
sans considérablement améliorer cette vocation (II).
I-
UNE
VOCATION HEREDITAIRE EXPRESSEMENT REAFFIRMEE
Le
Législateur ivoirien, à travers la loi n°
2019-573 du 26 juin 2019, réaffirme la vocation héréditaire du conjoint
survivant. Cette nouvelle loi, tout comme celle de 1964, détermine expressément
les conditions requises du conjoint survivant pour succéder (A) et précise, en outre, la nature des droits
reconnus à cet héritier (B).
A- Les conditions requises pour succéder
La
première condition pour succéder, laquelle peut paraitre d’ailleurs superfétatoire,
réside préalablement dans l’existence nécessaire d’un mariage entre le conjoint
survivant et son défunt époux. En effet, seul le mariage célébré par l’officier
de l’état civil confère la qualité de conjoint survivant. De ce fait, ni le
mariage coutumier ni celui célébré par un ministre du culte ne confère cette
qualité, à l’exception des mariages coutumiers célébrés avant 1964 et qui ont
fait l’objet de déclaration à l’état civil[8].
Aux
termes de l’alinéa 2 de l’art. 36 de la loi susvisée, seul le conjoint survivant contre
lequel il n'existe pas de jugement de séparation de corps passé en force
de chose jugée prend part à la succession (1). Outre cette condition
expressément énoncée par la loi, il convient de relever que le conjoint
survivant ne pourra prendre part à la succession de son époux prédécédé que
s’il n’a pas été déclaré indigne (2).
1- Le conjoint non séparé de corps
Pour
succéder, le conjoint survivant doit, selon le Professeur Félix EHUI, « mériter
l’affection de celui qui est décédé »[9]. Ainsi, le conjoint survivant qui peut
prétendre à la succession de son époux prédécédé est celui contre lequel il
n'existe pas de jugement de séparation de corps passé en force de chose jugée.
La
séparation de corps, contrairement au divorce, est une procédure par laquelle,
les époux, sans rompre irrévocablement leur lien matrimonial, décident
néanmoins de mettre fin à leur vie commune et aux obligations qui en découlent,
à l’exception des devoirs de fidélité et de secours[10].
Cette procédure introduite par requête[11]
ne devient effective qu’à l’intervention d’un jugement passé en force de chose
jugée.
Ainsi,
lorsque l’un des époux décède alors que la procédure de séparation de corps est
pendante, le conjoint survivant conserve sa vocation héréditaire et peut de ce
fait prétendre à des droits sur les biens laissés par l’époux prédécédé. Au
contraire, lorsque l’un des époux décède alors même que le jugement de
séparation de corps n’est plus susceptible de voies de recours ordinaires ou
extraordinaires, le conjoint survivant perd toute vocation successorale sur le
patrimoine laissé par le défunt. Il convient de relever que si la séparation de
corps constatée par un jugement passé en force de chose jugée exclut le
conjoint survivant de la succession, cela n’est nullement le cas de la
séparation de corps de fait. Ainsi, même si au quotidien, les époux vivaient
séparés de corps pendant de nombreuses années avant le décès de l’autre, cette
situation de fait ne saurait suffire à écarter l’époux survivant de l’hérédité.
En
outre, contrairement à la loi de 1964 qui disposait en son art. 39 que seul le
conjoint survivant non divorcé prenait part à la succession, la nouvelle loi
n’a pas fait cette précision, la jugeant surement superflue, surtout que le
divorce, dès qu’il est prononcé, fait perdre la qualité de conjoint.
Toutefois,
le conjoint survivant contre lequel il
n'existe pas de jugement de séparation de corps passé en force de chose jugée
ne pourra effectivement prendre part à la succession que s’il n’a pas été
déclaré indigne.
2- Le conjoint non déclaré indigne
En
dehors de la condition tenant à l’inexistence d’un jugement de séparation de
corps passé en force de chose jugée prononcé à l’encontre du conjoint survivant,
le législateur n’a nullement soumis la vocation héréditaire de cet héritier à
une autre condition. Toutefois, la lecture combinée des articles 9 et 10 de la loi n° 2019-573 du 26 juin 2019 laisse
légitiment présager qu’outre la condition susvisée, le conjoint survivant pour
prétendre à la succession de son défunt époux ne doit pas avoir fait l’objet
d’une déclaration d’indignité.
En
effet, il ressort de l’alinéa 1er de l’art. 9 de la loi susvisée qu’« Est indigne de succéder, celui qui a
été condamné en tant qu'auteur, ou complice, pour avoir volontairement donné ou
tenté de donner la mort ou porté des coups mortels au défunt. » Ainsi,
si le conjoint a été condamné pour l’un de ces faits, commis à l’encontre de
son défunt époux, il ne pourra prétendre à la succession, surtout qu’en
l’espèce, s’agissant d’un cas d’indignité obligatoire, la marge de manœuvre
reconnue au Juge est insignifiante. Ce dernier devra déclarer le conjoint
indigne si les faits allégués à son encontre sont corroborés par des éléments
probants.
Quant
à l’alinéa 2 de la disposition susvisée, il énonce que « Peut être déclaré indigne de succéder : l°-celui qui s'est rendu
coupable envers le défunt, de sévices, délits ou injures graves ; 2°-celui qui
a gravement porté atteinte à l'honneur, à la considération ou aux intérêts
patrimoniaux du défunt ou de sa famille ; celui qui a commis les faits mentionnés
à l'alinéa 1 du présent article et à l'égard de qui l'action publique n'a pu
être exercée ». Il ressort de ce
texte que tout successible, notamment le conjoint survivant, en dehors de toute
condamnation prononcée à son encontre pour des faits de meurtre, coups mortels
ou tentative desdits faits, peut se voir déclarer indigne et écarté de la
succession du défunt. Ainsi, si le conjoint survivant a exercé des sévices, proféré
des injures graves à l’encontre de son époux prédécédé ou gravement porté
atteinte à la réputation de celui-ci, il pourra se voir exclure de la
succession. Toutefois, contrairement à l’indignité obligatoire qui ne laisse
aucune marge d’appréciation au Juge, cette seconde catégorie d’indignité dite
facultative n’est pas automatique. Il
revient donc au Juge saisi d’apprécier si les faits reprochés à l’héritier,
donc au conjoint survivant en l’espèce, sont caractérisés et sont de nature à
justifier une déclaration d’indignité à son encontre.
L’action
en déclaration d’indignité est ouverte à tous les successibles, jusqu’au
partage de l’hérédité. Cela signifie que tout héritier, peu importe son ordre
ou son degré de successibilité, pourra solliciter de la juridiction compétente,
l’exclusion du conjoint survivant de la succession du défunt, si ce dernier a
été condamné pour des faits de meurtres
ou coups mortels (ou tentative desdits faits) ou s’il s’est rendu coupable de
sévices, délits ou injures graves envers le défunt. Néanmoins, l’indignité peut
cesser en raison du pardon accordé au conjoint survivant par l’époux prédécédé.
La preuve de ce pardon pouvant être rapportée par tous moyens.
Quel
est la nature des droits reconnus au conjoint survivant ?
B- La nature des droits successoraux
reconnus au conjoint survivant
La loi
n° 2019-573 du 26 juin 2019 relative aux successions à l’image de celle de
1964 reconnait au conjoint survivant la qualité d’héritier réservataire (1)
doté d’une réserve en pleine propriété (2).
1- Le conjoint survivant, héritier
réservataire
La
loi susvisée a conforté le conjoint survivant dans son statut d’héritier
réservataire. Mieux, celle-ci a redonné tout son sens à cette qualité, en
dotant désormais le conjoint survivant d’une quotité fixe, peu importe les
héritiers avec lesquels il vient en concours. Le statut d’héritier réservataire
a plusieurs conséquences sur la vocation héréditaire du conjoint survivant.
D’abord,
le conjoint survivant, en tant qu’héritier réservataire, bénéficie d’une
protection légale et ne peut de ce fait se faire exhéréder par son défunt
époux. En effet, en vertu de cette qualité, l’un des conjoints, le mari ou la
femme, ne peut prendre la résolution de déshériter l’autre conjoint, de sorte à
l’exclure, à son décès, du partage de ses biens. La seule exception à cette
règle demeure l’action en déclaration d’indignité. Ainsi, si l’époux survivant a
été déclaré indigne, il ne pourra pas prendre part à la succession du conjoint
prédécédé.
En
outre, eu égard à sa qualité d’héritier réservataire, le conjoint survivant est
saisi de plein droit, dès le décès de l’autre époux, ainsi qu’il résulte des
dispositions de l’art. 4 de la loi relative aux successions. Ainsi, dès le
décès de l’un des époux, le conjoint survivant n’est tenu de l’accomplissement
d’aucune formalité particulière pour faire de sa qualité de successible et faire valoir
ses droits sur les biens de la succession, même si en pratique, la preuve de
cette qualité résulte du jugement d’hérédité[12]
rendu par la juridiction du lieu d’ouverture de la succession, à savoir le
dernier domicile du défunt[13].
Contrairement au conjoint survivant qui est saisi de plein droit de même que
les autres héritiers réservataires, l’État, les légataires et donataires universels,
lorsqu’ils sont appelés à la succession, doivent respectivement se faire
envoyer en possession (pour l’État)[14]
ou demander délivrance des biens légués aux héritiers du défunt (pour les
légataires et donataires universels)[15].
Il
convient par ailleurs de relever que stricto sensu, est héritier réservataire,
le successible qui a droit à une fraction minimum du patrimoine du défunt, peu
importe les autres héritiers en présence. Si sous l’empire de la loi de 1964,
les conséquences de la qualité d’héritier réservataire reconnue au conjoint
survivant s’appréciaient au niveau de sa saisine de plein droit et de la
protection légale dont il bénéficiait, la nouvelle loi a redonné tout son sens
à cette notion, en octroyant désormais au conjoint survivant, une fraction bien
déterminée du patrimoine du défunt même en présence d’enfants et descendants du
défunt. Désormais, le conjoint survivant est véritablement érigé au rang
d’héritier réservataire d’autant plus que même en présence des enfants du défunt,
il a droit à un quart (¼) de la succession.
Aussi,
la qualité d’héritier réservataire confère au conjoint survivant, ainsi qu’aux
autres héritiers réservataires d’ailleurs, le droit d’initier en justice une action en
réduction des libéralités. Cette action peut être initiée toutes les fois où le
défunt a fait des donations qui excèdent la quotité disponible[16],
celle-ci étant la part du patrimoine dont ce dernier peut librement disposer.
En Côte d’Ivoire, la valeur de la quotité disponible varie en fonction des
héritiers appelés à la succession. Ainsi, aux termes des dispositions de l’art.
11 de loi n° 64-380 du 7 octobre 1964,
relative aux donations entre vifs et aux testaments « Les libéralités, soit par actes entre vifs,
soit par testament, ne pourront excéder le quart des biens du disposant si, à
son décès, il laisse des enfants ou des descendants d'eux. Elles ne pourront
excéder la moitié des biens si, à défaut d'enfants ou de descendants d'eux, le
disposant laisse des
frères et sœurs
ou descendants d'eux,
des ascendants ou
un conjoint survivant. »
Cette
réserve héréditaire octroyée au conjoint survivant s’exerce en pleine propriété.
2- Le conjoint survivant, héritier doté
d’une réserve en pleine propriété
Même
si cela ne ressort pas expressément de la loi, il convient de faire observer
que le conjoint survivant ivoirien, lorsqu’il est appelé à la succession, hérite
en pleine propriété.
En
effet, la réserve légale du conjoint survivant, fixée à un quart des biens de
la succession, s’exerce en pleine propriété. Autrement dit, les biens échus au
conjoint survivant à la suite du partage de l’hérédité lui reviennent en pleine
propriété. Ce choix du Législateur ivoirien en faveur de la pleine propriété se
justifie essentiellement par sa volonté de faire la promotion du conjoint
survivant, particulièrement celle des femmes, à qui la tradition africaine
tente de dénier souventes fois le droit de pouvoir hériter, surtout des biens
immobiliers. Ainsi, lorsque l’épouse du défunt est appelée à la succession,
même si l’actif successoral est entièrement composé de biens immobiliers, elle
en deviendra propriétaire au même titre que les autres héritiers. Ce choix du
Législateur vise également à éviter les difficultés liées au droit d’usufruit,
un droit qui ne fait de l’héritier qu’un simple utilisateur des biens hérités,
lesquels appartiennent en réalité à un autre héritier.
En
France, par exemple, le droit d’usufruit est consacré par les dispositions du
Code civil. Aux termes de l’art.757 dudit Code, « Si l'époux prédécédé laisse des enfants ou descendants, le
conjoint survivant recueille, à son choix, l'usufruit de la totalité des biens
existants (…) lorsque tous les enfants sont issus des deux époux (…) »
Ainsi, en France, le conjoint survivant, peut, au choix, décider d’hériter en
pleine propriété ou recueillir la totalité de l’usufruit des biens existants.
Toutefois, en présence d'un ou plusieurs enfants qui ne sont pas issus des deux
époux, le conjoint ne peut que recueillir le quart des biens en pleine propriété.
En Afrique où les successions sont souventes fois source de conflits, notamment
entre les enfants du défunt et le conjoint survivant, l’usufruit serait surement
difficile à mettre en œuvre.
Qualitativement,
la nouvelle loi relative aux successions a réaffirmé la vocation héréditaire du
conjoint survivant. Quantitativement, celle-ci a nettement amélioré le sort de
cet héritier.
II-
UNE
VOCATION HEREDITAIRE NETTEMENT AMELIOREE
La
particularité de la loi n°2019-573 du 26
juin 2019 relative aux successions réside, d’une part, dans l’amélioration
de l’ordre de successibilité du conjoint survivant (A) et, d’autre part, dans
l’institution, au profit de cet héritier, d’une quote-part héréditaire plus
conséquente (B) qui peut varier en fonction de la catégorie d’héritiers avec
laquelle il vient en concours.
A- L’amélioration de l’ordre de
successibilité du conjoint survivant
La
loi susvisée a amélioré le sort du conjoint survivant. Cette amélioration se
matérialise par la revalorisation de l’ordre de successibilité[17]
de cet héritier, qui a désormais un droit de concours en présence d’enfants et
descendants du de cujus (1) et une prééminence face aux ascendants et
collatéraux du défunt (2).
1- Un droit de concours en présence
d’enfants et descendants du défunt
Loi
n°64-379 du 7 octobre 1964, relative aux
successions disposait en son art. 23
qu’« À défaut d'enfants et de
descendants du défunt, une moitié de la succession est déférée aux père et
mère, l'autre moitié aux frères et sœurs ou descendants d'eux. » Il
s’induisait de cette disposition qu’en présence d’enfants et descendants du
défunt, l’époux survivant ne pouvait nullement prendre part à la succession et
était de ce fait écarté du partage des biens existants au décès de son
conjoint. Cette situation décriée par plusieurs éminents juristes, notamment le
Professeur Jacqueline LOHOUESS OBLE, qui voyaient en cette disposition une
négation des droits du conjoint survivant et la source du dénuement de cet
héritier, vient heureusement de prendre fin avec la nouvelle loi.
En
effet, aux termes de l’art. 26 de la loi
n° 2019-573 du 26 juin 2019 « Les
enfants ou leurs descendants et le conjoint survivant succèdent au défunt. Les
trois quarts de la succession sont dévolus aux enfants ou leurs descendants et
un quart au conjoint survivant. » Désormais, même en présence
d’enfants du défunt et descendants d’eux, le conjoint survivant est appelé à la
succession. Ce qui constitue une avancée notable.
Désormais,
le conjoint survivant a prééminence sur les autres parents du défunt.
2- Une prééminence sur les ascendants et
les collatéraux
Pendant
un demi-siècle, les parents du défunt, notamment les père et mère et les frères
et sœurs, en raison du lien de sang qu’ils partagent avec le de cujus, ont toujours eu la faveur du
Législateur, au détriment du conjoint survivant, simple héritier par alliance.
Ainsi, sous l’empire de l’ancienne loi, ceux-ci étaient appelés à la succession
avant le conjoint survivant. Ainsi, à défaut d'enfants et de
leurs descendants, une moitié de la succession est déférée aux père et mère, l’autre
moitié aux frères et sœurs ou descendants d’eux. Si le père ou la mère est
prédécédé, la portion qui lui aurait été dévolue se réunit à la moitié déférée
aux frères et sœurs.
Désormais,
le conjoint survivant a pris le pas sur les ascendants (père et mère) et
collatéraux privilégiés (frères et sœurs) et sur tous les autres parents
(grands-parents, tantes, oncles, cousins et neveux) de l’époux prédécédé.
Ainsi, en l’absence d’enfants et de descendants d'eux, une moitié de la
succession est dévolue aux père et mère du défunt, l'autre moitié au conjoint
survivant. C’est à défaut d’enfants ou de descendants d’eux et du conjoint
survivant qu’une moitié de la succession est dévolue aux père et mère et l’autre
moitié aux frères et sœurs. L’on constate clairement que le conjoint survivant
a aujourd’hui prééminence sur les frères et sœurs du défunt, sans toutefois
supprimer leur vocation successorale comme c’est le cas en France[18].
L’amélioration
du sort du conjoint survivant en droit positif ivoirien s’apprécie surtout au
regard de la quote-part plus conséquente qui lui est dédiée, en présence des
autres parents du défunt.
B- Une quote-part héréditaire plus
conséquente
Avec
la nouvelle loi, le conjoint survivant recueille une part de la succession même
en présence d’enfants et autres descendants du défunt (1). Cette pars héréditatis est plus conséquente
lorsqu’il vient en concours avec les autres parents du défunt (2).
1- Une quote-part même en présence
d’enfants
Pendant
plus d’un demi-siècle, le conjoint survivant a été écarté de la succession de son
défunt époux par les enfants et descendants de son défunt époux. Il en était
ainsi aussi bien en présence des enfants communs aux deux (02) époux que de
ceux dont la filiation est établie uniquement à l’égard du seul époux
prédécédé. Cette situation tirait sa source des dispositions de l’art. 23
susvisée.
Avec
la nouvelle loi, le conjoint survivant, en présence d’enfants et descendants du
défunt recueille un quart (1/4) des biens laissés par son époux. Cette
innovation législative est d’un intérêt certain, car elle prend en compte les
droits de cet héritier, qui joue sans doute un rôle considérable dans la
constitution du patrimoine familial. Désormais, même en présence d’enfants du
défunt, surtout en présence d’enfants non communs aux époux, les droits du
conjoint survivant sont sauvegardés d’autant plus qu’il aura droit à un quart
en pleine propriété des biens successoraux, sans préjudice des biens qui lui
reviennent au titre de la communauté (si les époux étaient unis sous le régime
de la communauté de biens). Cette règle consacrée par l’art. 26 de la loi n° 2019-573 du 26 juin 2019 sera
sans doute le remède pour sortir le conjoint survivant, surtout les veuves, du
dénuement lorsque survient le décès du mari. Cette réforme mérite d’être
chaleureusement saluée surtout en Côte
d’Ivoire où il n’est pas rare de constater que certains enfants du défunt après
s’être appropriés de tous les biens, rechignent à venir en aide au conjoint
survivant, surtout lorsque ceux-ci ne sont pas communs aux époux.
2- Une part plus conséquente en présence
des autres parents du défunt
C’est
surtout en présence des père, mère, frères, sœurs, ascendants et collatéraux
ordinaires du défunt que l’on aperçoit nettement l’amélioration de la vocation
héréditaire du conjoint survivant, sous l’empire de la loi n° 2019-573 du 26 juin 2019.
D’une
part, face aux ascendants et collatéraux privilégiés, le sort du conjoint
survivant n’est plus comme par le passé où les frères et sœurs avaient
prééminence sur cet héritier. Désormais, en l’absence d’enfants du défunt ou
descendants d’eux, une moitié de la succession échoit au père et mère, l’autre
moitié au conjoint survivant. Sous l’empire de l’ancienne loi, en pareille
occurrence, le conjoint survivant était systématiquement écarté de la
succession par les parents susvisés. Aujourd’hui, le conjoint est appelé à la
succession avant les frères et sœurs du défunt. C’est seulement en l’absence
d’enfants et du conjoint survivant que les père et mère partagent les biens
avec les frères et sœurs. En l’absence d’enfants et des père et mère du défunt,
les frères et sœurs, d’une part, le conjoint survivant, d’autre part, partagent
la succession, chacun pour moitié, alors que par le passé, en cas de prédécès
des père et mère d’une personne morte sans postérité, ses frères et sœurs ou
leurs descendants étaient appelés à la succession, à l'exclusion des
ascendants, des autres collatéraux et du conjoint survivant.
D’autre
part, face aux autres parents du défunt, le conjoint survivant apparait
aujourd’hui comme un super héritier, ses droits ayant nettement été renforcés.
En effet, par le passé, à défaut de père et mère, de frères ou sœurs ou de descendants
d’eux, la succession se divisait par moitié entre le conjoint survivant et les
parents aux degrés successibles les plus proches dans chaque ligne. Désormais,
le conjoint survivant, aux termes de l’art. 27, à défaut de père et mère et de
frères et sœurs du défunt, recueille la totalité des biens de la succession. Il
s’induit de ce qui précède que le conjoint survivant, en présence des autres
parents du défunt et en dehors de ceux susvisés (enfants et descendants d’eux,
père et mère, frères et sœurs) hérite tout seul de l’ensemble des biens.
En
définitive, il convient de retenir que la loi
n° 2019-573 du 26 juin 2019, en plus d’avoir réaffirmé la vocation
héréditaire du conjoint survivant, a nettement amélioré cette vocation. En
effet, avec cette loi, le conjoint survivant est réellement devenu un héritier
réservataire, d’autant plus que même en présence d’enfants du défunt, il
recueille un quart de la succession en pleine propriété. Ainsi, contrairement
au passé, peu importe les héritiers en présence, le conjoint survivant sera
toujours appelé à la succession. Mieux, le conjoint survivant est placé au même
ordre de succession que les père et mère de son défunt époux et a même
prééminence sur les frères et sœurs du défunt. Désormais, les chances pour le
conjoint survivant de prétendre à la totalité de la succession sont très
élevées alors que celles-ci étaient quasiment inexistantes sous l’empire de la loi n°64-379 du 7 octobre 1964.
Cependant,
triste est de relever que l’œuvre de revalorisation du statut héréditaire du
conjoint survivant entreprise par le Législateur semble inachevée. En effet, le
Législateur aurait pu octroyer des droits supplémentaires d’autre nature au
conjoint survivant, notamment un droit d’occupation temporaire du logement
familial, un droit viager au logement familial et une attribution
préférentielle du logement familial. L’institution de ces droits portant sur le
logement familial n’est pas dépourvue d’intérêt d’autant qu’il n’est pas rare
qu’au décès de son époux, le conjoint survivant, surtout la femme, est la cible
des parents voire des enfants du défunt qui n’hésitent pas à l’expulser du
domicile conjugal.
Vos différentes observations nous
seront plus que bénéfiques pour l’amélioration de cette humble contribution
scientifique, qui nous le savons, recèle
nombreuses imperfections.
[1]- Auditeur de Justice, Promotion 2016 (École de la
Magistrature de Côte d’Ivoire) ; DEA en Droit Privé Fondamental (Université Felix HOUPHOUËT-BOIGNY d’Abidjan).
[2]-
Lorsque la Côte d’Ivoire a accédé à
l’indépendance, il lui a fallu
s’organiser en tant qu’État, c’est-à-dire
se donner une Constitution et des
institutions et, plus particulièrement, adapter le Droit des personnes et de la
famille aux exigences sociales nouvelles. La majorité de la population était
régie par le droit coutumier. La
codification de ces coutumes, trop différentes pour être unifiées, avait été
vainement entreprise : leur maintien était incompatible avec l’unité
du pays et ses projets de
modernisation et de développement. Leur diversité allait à l’encontre des principes affirmés
par la constitution : elles ne respectaient pas l’égalité des
citoyens devant la loi ni celle des sexes, les femmes conservant toute
leur vie un statut de mineure.
[3]- Jacqueline
LOHOUES-OBLE, Droit des successions en Côte
d’Ivoire : tradition et modernisme, NEA, 1984 ; P.20
[4]-
Ce principe s’entend de la transmission des valeurs sociales et religieuses,
les charges publiques et le pouvoir qui étaient détenus par le défunt. Le Prof
Joseph BOMDA explique mieux ce principe lorsqu’il écrit : « En Afrique noire, la succession
permet à la personne décédée de continuer à exister dans la société, sa place
ne disparait pas avec sa mort. Le successeur hérite de ses biens, mais aussi de
ses droits, de ses rôles et de ses missions ». »
[5]-
Dans les sociétés traditionnelles
ivoiriennes, la succession rimait avec la désignation d’un héritier unique,
chargé de continuer les fonctions sociales assumées antérieurement par le de
cujus.
[6]-
ANGORA HORTENSE KOUASSI, Thèse de
Doctorat Faculté de Droit Université de Montpellier 1, Le statut de la femme
mariée en Côte d’Ivoire, soutenue le 09
juillet 1985. P. 77
[7]-
Cette situation marquait clairement la volonté du législateur de faire du
conjoint survivant un héritier à part entière. En France, le législateur n’a
reconnu la qualité d’héritier réservataire au conjoint survivant qu’avec la loi n° 2006-128 du 23 juin 2006 portant
réforme des successions et des libéralités.
[8]-
conformément aux dispositions de l’article 10 de la loi n° 64-381 du 07 octobre 1964, relative aux dispositions diverses
applicables aux matières régies par les lois sur le mariage.
[9]- Félix T. EHUI, Droit des régimes matrimoniaux, des successions et des libéralités,
Les éditions ABC, 2013, P.111.
[10]-
Articles 28 et 30 nouveau de la loi n° 64-376 du 7 octobre 1964 relative au divorce et à la séparation de
corps, modifiée et complétée par les
lois n" 83-801du 2 août 1983, n°98-748 du 23 décembre 1998.
[11]-
la juridiction compétente pour connaitre de cette procédure est soit le
tribunal du lieu où se trouve la résidence de la famille, soit devant le
tribunal du lieu de résidence de l'époux avec lequel habitent les enfants mineurs
ou devant le tribunal du lieu où réside l'époux qui n'a pas pris l’initiative
de la demande dans les autres cas.
[12]- Art.
12 de la loi relative aux successions « La qualité d'héritier est
constatée par un jugement rendu par le tribunal du lieu d'ouverture de la
succession.
[13]- art. 5
de la loi relative aux successions.
[14]- art 4
al. 3 de la loi relative aux successions « L'État
doit se faire envoyer en possession. »
[15]-
art. 73 de la loi relative aux donations entre vifs et testaments « Les légataires à titre universel
seront tenus de demander délivrance aux héritiers auxquels une quotité des
biens est réservée par la loi, à leur défaut, aux légataires universels, et à défaut de ceux-ci, aux héritiers appelés
dans l'ordre établi au titre des successions. »
[16]- la
quotité disponible, fraction laissée à la libre disposition du défunt, s’oppose
à la réserve légale qui est la portion du patrimoine devant revenir aux
héritiers. De ce fait, le défunt ne peut consentir de libéralités sur cette
partie de son patrimoine.
[17]-
En droit successoral, les héritiers sont classés dans différents ordres de
succession. Ce sont, entre autres, l’ordre des descendants (composé des enfants
du défunt et descendants d’eux), l’ordre des ascendants et collatéraux
privilégiés (qui comprend les père et mère et frères et sœurs du défunt),
l’ordre des ascendants et collatéraux ordinaires (qui comprend les autres
ascendants du défunt, notamment les grands-parents, mais également les tantes,
oncles, cousins etc.) et le dernier ordre représenté par le conjoint survivant.
Les héritiers de l’ordre le plus proche du défunt est appelé à la succession
avant les héritiers des autres ordres. Ainsi, naturellement, les enfants et
leurs descendants héritent de leurs père et mère. En cas de prédécès d’un descendant
du défunt, l’enfant de ce dernier vient en représentation de ses droits. Sous
l’empire de l’ancienne loi, le conjoint survivant était logé à la même enseigne
que les héritiers de l’ordre des ascendants et collatéraux ordinaires. De ce
fait, le conjoint était écarté de la succession par les enfants, les père et
mère et frères et sœurs du défunt.
[18]-
En France, les frères et sœurs du défunt
n’a ont aucune vocation successorale sur les biens laissés par leur
frère prédécédé. S’agissant des père et mère du de cujus, ils ont perdu leur
vocation héréditaire depuis l’entrée en vigueur de la loi du 23 juin 2006.